TABLE DE MILIEU COMPOSÉE D'UN PLATEAU, PARIS, VERS 1690, ATTRIBUÉE À PHILIPPE POITOU (VERS 1640 - 1709) Le piètement, Paris, vers 1870, estampille de Jean Passemard ou Passmar En placage d'écaille, incrustations d'étain et laiton, ornementation de bronze ciselé et doré, le plateau à décor de vases fleuris, rinceaux feuillagés et arabesques ceint d'une astragale, la ceinture ouvrant par trois tiroirs, trois faux tiroirs de l'autre côté, les montants galbés surmontés de masques d'homme barbu aux queues de poisson, reposant sur des pieds cambrés agrémentés de sabots en bronze en forme de dauphin, le tiroir central estampillé deux fois J.PASSMAR ; petits accidents et manques, le pied arrière droit restauré H. : 78,5 cm (31 in.) l. : 124 cm (48 3/4 in.) P. : 76,5 cm (30 in.) A TORTOISESHELL, PEWTER AND BRASS-INLAID TABLE-TOP, PARIS, CIRCA 1690, ATTRIBUTED TO PHILIPPE POITOU (CA.1640 - 1709), ON A NAPOLEON III TABLE, CIRCA 1870, THE TABLE STAMPED BY JEAN PASSEMARD OR PASSMAR Cette table présente un plateau rectangulaire entièrement recouvert en marqueterie en première partie en laiton et étain sur fond d'écaille teintée en rouge, datant de la fin du XVIIe siècle. Il est orné d'un motif complexe d'arabesques, composées de réserves et de médaillons entrelacés, entremêlés de volutes et rinceaux d'acanthe, refermant des rosaces et des losanges, et formant aux angles d'importants écoinçons à termes féminins feuillagés, émergeant parmi des fleurons, aussi d'acanthe. Le plateau est monté sur un piétement réalisé pendant la seconde moitié du XIXe siècle, pour former une table de milieu. Munie d'une ceinture ouvrant par trois tiroirs, celle-ci repose sur des pieds galbés, le tout marqueté de rinceaux, également en laiton et écaille rouge. Le plateau est ceint dans un quart-de-rond orné d'un motif de bâtons denticulés et ponctué d'écoinçons, ainsi que les pourtours des tiroirs, délimités par des encadrements, alors que les pieds sont soulignés par de fortes chutes à volutes et finissent avec des sabots ornés de rocailles, le tout en bronze. Composée à partir d'un plateau d'époque Louis XIV, réalisé vers 1690, notre table représente un bel exemple de survivance pendant le XIXe siècle de la tradition du XVIIIe et du Boulle revival, perpétrée sous Louis XVI, à l'initiative de marchands merciers, comme Claude-François Julliot ou le frères Darnault, par les grands ébénistes parisiens, tels Joseph Baumhauer, Adam Weisweiler, Philippe-Claude Montigny, René Dubois, Adrien Faizelot-Delorme, etc. Ce phénomène de remploi de marqueteries de cuivre et écaille fut déjà initié sous Louis-Philippe par les ébénistes de la famille Monbro, dont le père, Georges-Marie-Paul-Vital-Bonifacio (1774-1841), se spécialisa dans la restauration des meubles Boulle et dans la fabrication de pièces nouvelles à partir d'anciens fragments . Ce phénomène se poursuivit sous le Second Empire et jusqu'à la fin du XIXe siècle, comme en témoigne le plateau de notre table. Son décor le relie à plusieurs panneaux à motifs très ressemblants, qui furent déjà remployés au XVIIIe siècle par Weisweiler pour deux de ses tables , dont l'une à décor sur fond d'écaille rouge pratiquement identique au nôtre (fig. 1-2). Une troisième table, conservée avant 1959 dans les collections d'Ashburnham Place, dont le plateau présente un motif central un peu différent (fig. 3), s'apparente elle aussi aux productions de Weisweiler. Plus intéressante encore est la présence d'un plateau à fond d'écaille rouge (fig. 4), dont la marqueterie s'apparente à celle de la table de Weisweiler, vendue chez Sotheby's, en 1995, sur un bureau à caissons datant des années 1690 et restauré par l'ébéniste Jacques Dubois vers 1750 . Lors de la vente de ce dernier meuble, il avait été attribué, dans sa forme d'origine à Alexandre-Jean Oppenord. A l'évidence, tout ce groupe de panneaux marquetés, caractérisé par les motifs d'entrelacs arabesques très géométrisés et par la présence de termes feuillagées ou de têtes de mascarons féminins, sont l'œuvre d'un seul ébéniste actif pendant les dernières années du XVIIe siècle et les premières du XVIIIe. Or, on remarque que le décor des panneaux sur les côtés du bureau restauré par Dubois (fig. 5), à motifs très proches de l'élément central de son plateau et de celui de la table de Weisweiler, et appartenant au même groupe que notre table, se retrouve quasiment identique à la partie intérieure du volet d'un cabinet sur piétement , dont la composition générale rappelle un meuble d'André-Charles Boulle, mais qui est recouvert d'un décor marqueté bien différent (fig. 6-7). Le décor en première partie du volet du cabinet est repris en contrepartie sur les portes de deux cabinets (fig. 8), traditionnellement attribués à André-Charles Boulle, conservés à Stratfield Saye (Hampshire), résidence des ducs de Wellington. Enfin, amplifié et toujours en contrepartie, ce même motif orne la partie intérieure des battants d'un cabinet plus ancien, recouvert en marqueterie de laiton, d'étain et d'écaille brune, exécuté à Paris dans les années 1680 (fig. 9). Or, toute cette série de meubles, bien qu'évoquant la création d'André-Charles Boulle, se différencient par un décor marqueté tout aussi individualisé qu'éloigné de celui employé par le maître. Vue cette particularité, il semble donc plus logique de chercher l'auteur de ces marqueteries dans l'ambiance immédiate de l'atelier de Boulle et de penser à Philippe Poitou (v.1640-1709), menuisier en ébène, qui avait épousé en 1672 sa sœur, Constance Boulle, avec laquelle il s'engageait en 1674 de travailler pour André-Charles, en tous les ouvrages de marqueterie et autres qu'il leur donnera à faire . Veuf avant novembre 1676, Philippe Poitou devint par la suite maître ébéniste et marqueteur ordinaire du roi et épousa en 1678 en secondes noces Catherine-Marguerite Sommer, elle-même veuve d'un ébéniste de la couronne, et travaillant comme lui pour les Bâtiments du roi. Ceci pourrait expliquer, en effet, la ressemblance entre les cabinets cités et des meubles de Boulle : visiblement, si Poitou resta influencé par son beau-frère pour certaines des formes de ses meubles, il sut trouver une voie originale pour leur décor marqueté. Bien entendu, il faut avancer avec beaucoup de prudence dans l'attribution de pièces réalisées à une époque où l'apposition de l'estampille ne constituait pas encore une obligation. Cependant, dans les circonstances évoquées, le rapprochement de cette production dont le plateau de notre table en fait partie, de la création de Philippe Poitou semble plus que vraisemblable. Nous pouvons également rattacher à cette série de meubles plusieurs pièces dont les décors stylistiquement très proches, présentent cependant quelques variations dans leur composition, comme sur un bureau à caissons en marqueterie en première partie de laiton, étain et écaille brune, qui figura à la Biennale des Antiquaires de Paris en 2012, sur un autre recouvert de marqueterie en contrepartie en écaille rouge , ou bien sur un troisième, alliant la marqueterie en première et seconde partie, de laiton et d'écaille rouge , etc. Il est intéressant aussi de remarquer que le plateau de cette table porte à deux reprises l'estampille J. Passmar. Ce Passmar s'appelait, en fait, Jean Passemard et avait été reçu à la maîtrise le 8 janvier 1774. On le retrouve en 1778, habitant rue des Cordeliers et plus tard, installé rue du Faubourg-Saint-Antoine, où il tenait pendant la Révolution une boutique d'ébéniste et marchand de bois d'acajou . Visiblement, la pratique de la récupération des panneaux anciens recouverts en marqueterie boulle ne constituait pas sous l'Ancien Régime le seul apanage de grands marchands merciers ou d'ébénistes de renom. Un descendant de ce Passemard allait continuer de produire pendant le XIXe siècle. A l'instar du fils Monbro, Georges-Alphonse-Bonifacio (1807-1884), qui avait repris l'affaire familiale dès 1838, en ouvrant une succursale à Londres vers 1850, Passemard, cité d'abord comme fabricant de sièges et de meubles, s'était établi en 1856, au 110 de la rue Vieille-du-Temple. Il s'installa en 1860, 11, rue Payenne et prit la raison sociale Passemard et Cie, puis, dès 1870, Passemard, Coste et Cie, et continua à exercer entre 1874 et 1890 sous le nom de Passemard frères . 1. Comme par exemple, un bureau conservé dans l'hôtel Sabatier d'Espeyran à Montpellier, voir aussi Denise Ledous-Lebard, Les ébénistes du XIXe siècle, Paris, Les Editions de l'Amateur, 1989, p. 492-496. 2. Sotheby's, Monaco, 1er juillet 1995, n°110, sur fond d'écaille brune. 3. Vente, Paris, Europ Auction, 15 juin 2012, n°207. 4. Francis J. B. Watson, Le meubleLouis XVI, Paris, Les Beaux-Arts, 1963, p. 149 et fig. 239-240. 5. Sotheby's, Londres, 3 juillet 2013, n°18. 6. Sotheby's, Monaco, 3 décembre 1994, n°387. 7. Vente, Paris, Mes Million-Robert, 27 novembre 1995, n°334. 8. Arch. nat., Minc. cent., XLIII, 151, convention du 8 janvier 1674, citée par Jean-Pierre Samoyault, André-Charles Boulle et sa famille, Genève, Droz, 1979, p. 37. 9. Christie's, New York, 26 octobre 2001, n°263. 10. Vente, Paris, Espace Tajan, 19 juin 2012, n°88. 11. Vial, Girodie, Marcel, Les artistes décorateurs du bois, Paris, 1922, t. II, p. 68. 12. Denise Ledous-Lebard, Les ébénistes du XIXe siècle, Paris, Les Editions de l'Amateur, 1989, p. 516. * Spécimen en écailles de tortue marine spp (Cheloniidae spp) (I/A-CE) pré-convention, antérieur au 1er juin 1947 de ce fait conforme au Regle CE 338/97 du 09/12/1996 art.2-W mc, conforme au Code de l'environnement français (antériorité avant l'application de l'AM relative à la protection des tortues marines). Pour une sortie de l'UE un CITES de ré-export sera nécessaire, celui-ci étant à la charge du futur acquéreur.