LILLE 1758 - 1823 LE BAL DE TIVOLI FRANOIS WATTEAU, CALLED WATTEAU DE LILLE ; BAL IN THE TIVOLI GARDEN, PARIS ; SIGNED AND DATED LOWER MIDDLE ; OIL ON NON-CRADDLE PANEL ; BEARS SEVERAL LABELS ON THE REVERSE Signé et daté en bas au milieu F. Watteau/an 7eme/r. p. f. Huile sur panneau non parqueté Porte au dos plusieurs étiquettes. 71,8 x 97,5 cm ; 28 1/4 by 38 1/3 in
Explication des peintures, sculptures, gravures, desseins, et autres
ouvrages, exposés dans l’un des Salons du Cirque de Lille, le 25
messidor an VIII de la République Française, jusqu’au 4 thermidor
inclusivement par les Peintres, Sculpteurs, Artistes et Amateurs de la même
ville, Lille, 1800 ;
Exposition Watteau, Lille, Palais Rameau, 1889 ;
Collections privées du nord : Maîtres Anciens, musées de l’Hospice
Comtesse, Lille, 1968;
Les Watteau de Lille, Lille, Musee des Beaux-Arts, 16 mai-31 aout 1998
Literature
P. Marmottan, Notice historique et critique sur les peintres Louis et
François Watteau, dits les Watteau de Lille, Paris, 1889, pp.45-46,
pp.49-50, p.61 et p.69 ;
A. Mabille de Poncheville, Les peintres Louis et François Watteau, dits
Watteau de Lille, G.B.A, avril 1926, p.228 ; id.., 1928-a, pp.75-76,
p.109, n°24 et p.113, n°5 ; id., 1928-b, p.270 ; id., 1959, p.97 ;
CG. Marcus, « Louis et François Watteau dits les Watteau de Lille », Art
et Curiosité, III, mai-juillet, n°62, pp. 20, n°22 ;
G-A Langlois, Folies, tivolis et attractions – les premiers parcs
de loisirs parisiens, Paris, 1991, p.209, n°254, repr.192 ;
H. Oursel, « Les arts sous la Révolution et l’Empire », dans
Trenard L., Histoire de Lille -, l’ère des Révolutions (1715-1851),
Toulouse, 1991, p.364;
G. Maës, Les Watteau de Lille, Alençon 1998, p.381, n° FP84, rep. p.115
Provenance
Collection Charles Lenglart, Lille ;
Collection Louis Lenglart, Lille ;
Collection Jules Lenglart, Lille ;
Sa vente, Paris, Hôtel Drouot, 10 mars 1902, n°109 ;
Acquis à cette vente par Eugène Kraemer ;
Sa vente, Paris, galerie Georges Petit, 28-29 avril 1913, n°70 ;
Acquis à cette vente par la famille de l’actuel propriétaire.
Notes
« C’est encore une des œuvres qu’il est indispensable d’examiner
si l’on veut estimer à sa juste valeur François Watteau. Les
amateurs parisiens n’avaient jusqu’ici qu’une vague idée
de lui ; devant de tels documents, une conviction nait et s’affirme,
le sens du maître apparait et l’étreint. Qu’est-ce qu’en
effet que le tableau de Tivoli. ? Un chef-d’œuvre. L’esprit
gaulois y coule à plein bords, aussi la mise en scène infiniment récréative
s’en ressent-elle. Voici dans un cadre formé par des futaies à
fraiches feuilles d’un ton exquis qu’on aurait avoué Louis
Moreau, une vaste tente à gauche ; près de celle-ci une musique envoie
dans l’air ses accords symphoniques déliant les jambes de 6
couples enlacés et s’embrassant sans vergogne. » Paul Marmottan
dans sa notice sur les Watteau de Lille. Cette citation du grand
collectionneur et historien de l’art du XIXème siècle que l’on
retrouve sur une étiquette manuscrite au dos du tableau nous résume le
regard qui était porté sur notre œuvre dès le milieu du XIXème siècle.
Considérée comme un chef d’œuvre, ce tableau représente un
tournant de carrière de l’artiste. En effet, François Watteau de
Lille était plutôt connu du grand public pour ses portraits ou ses scènes
militaires, que le contexte historique l’avait porté à développer.
Notre tableau daté de l"an 7 (1799) est un parfait témoignage du
changement radical des mœurs et des habitudes de la société à la
fin de la Terreur.
L’œuvre était considérée par les contemporains de l’artiste
comme un éloge de la mode et de la société de son temps grâce aux
personnages animant la scène.
Le goût de Watteau de Lille pour la mode peut trouver son origine dans
sa collaboration avec la revue Gallerie des modes et costumes français
pour laquelle il réalisait les illustrations. Célèbre pour ses scènes d’agrément
et pour ses croquis d’élégantes de l’époque, il entra en
contact avec Esnault et Rapilly qui avait fondé la revue en 1778. Il développa
alors son goût pour la mode et les toilettes, et s’attacha à ce
nouveau genre de peinture et de dessin. François Watteau passa une année
fructueuse à leurs côtés, réalisant de nombreux modèles. Durant ses années
parisiennes (1774-1786), Watteau remplit plusieurs carnets de croquis ;
il était habitué à saisir des scènes de jardins, de société, et fixait
sur le papier les costumes des gens qu’il croisait ou admirait. Ce
n’est que plus tard que, s’inspirant de ses carnets, l’artiste
réalisa des tableaux d’envergures dont le nôtre fait partie.
Ayant quitté Paris et son poste d’illustrateur pour la Gallerie
des modes et costumes français en 1786, François Watteau regagna sa
ville natale. Son retour à Lille fut difficile car l’artiste ne
connut pas l’aura ni l’engouement du public qu’il
avait pu mesurer à Paris pour sa peinture. S’étant d’abord
cantonné à des scènes historiques, que le contexte politique parisien
favorisait, il décida, après une période de réflexion, d’élargir
ses sujets de compositions et de développer une certaine polyvalence. C’est
ainsi qu’en 1798, au Salon lillois de l’an VI, il présenta
toute une série de tableaux aussi différents par leurs thèmes les uns
des autres. Il aborda le sujet religieux, le portrait, les sujets d’actualités
et les scènes de genre. C’est à ce tournant dans la carrière du
peintre que se situe Le Bal Champêtre, peint en 1799. Ayant sans doute
ressorti les carnets de croquis noircis lorsqu’il était à Paris,
il s’en inspira, réutilisant ses personnages et ses scènes pour
les agencer et les incorporer à notre tableau. On connaît une esquisse
préparatoire (collection privée), pour le tableau ce qui nous confirme
le soin que l’artiste accorda à cette œuvre.
La scène prend place dans le parc de Tivoli, aussi nommé « Folie-Boutin
» en l’honneur du riche financier et fermier général Boutin qui l’a
fait aménager au début du XVIIIe siècle au Nord-Est de Paris, dans le
quartier Saint-Lazare, entre le 66 et le 110 de la rue du même nom. Il
fut confisqué sous la Révolution et son propriétaire fut exécuté. Devenu
un parc d’attraction, il rouvrit ses portes en 1795 et attira
beaucoup de monde. On y donnait les plus belles fêtes de Paris. Ce parc,
plus communément appelé jardin, était composé de plantes rares, de
fausses ruines et de rochers, de grandes pelouses et des ménageries, et
offrait des divertissements de jeux d’eaux. Ce genre de jardin
rappelait les lieux de villégiature, les séjours à la campagne, là où la
bonne société parisienne pouvait se retrouver au calme et dans un cadre
bucolique. Orné de plantes rares, cet espace, qui était payant, était
devenu un lieu de promenade célèbre et possédait une foule de ressources
: musique, danse, foires, bosquets, jets d’eau, labyrinthes, comédies
en plein air, arlequins, marchands de mode, ou encore des chansonniers.
Une fois la nuit tombée, le jardin s’illuminait de feux d’artifices
et de lampions colorés, retenant jusque tard dans la nuit bon nombre de
spectateurs qui agrémentaient le spectacle de leurs costumes brillants
et somptueux. Ce « jardin des plaisirs » était un lieu de rencontres
amoureuses et les bosquets étaient propices aux isolements de certains
couples. Des comédiens et des forains se donnaient en spectacles,
suscitant les applaudissements et les rires des spectateurs. Plus tard,
il deviendra une station thermale, servant alors de prétexte à des
fantaisies nautiques.
Watteau de Lille choisit ici de représenter les parisiens, plutôt aisés,
dans leurs loisirs. Dans un premier temps, il réutilise des modèles qu’il
avait croqués dans ses carnets. Il reproduit la forme d’un vêtement
ou l’agencement heureux de personnages aperçus dans un jardin au
cours de l’une de ses promenades. Il tend à montrer le désir effréné
des Français pour les fêtes et les plaisirs au lendemain de la Révolution.
C’est ainsi que l’on trouve des hommes et des femmes
dansant, conversant et évoluant dans un décor bucolique où tout semble
appeler aux plaisirs, aux rires, aux jeux et aux frénésies de toutes
sortes. Une tente et un chapiteau de chaque côté de l’allée
principale semblent abriter ces attractions qui se sont développées après
la Terreur et qui divertissaient la société avec leurs magiciens, leurs
lanternes magiques et autres plaisirs forains.
Ces hommes et ces femmes représentent le courant mondain et réactionnaire
qui s’est mis en place face à la Terreur. Incroyables et
Merveilleuses, c’est ainsi que l’on appelait les membres de
la société parisienne qui, sous le Directoire, suivaient un courant de
mode caractérisé par sa dissipation et ses extravagances, pour réagir
face à la tristesse et à l’austérité de la Terreur. La gent
masculine, les Incroyables, s’habillait avec une élégance telle qu’on
les qualifiait de merveilleux et d’incroyables. En effet, ils étaient
vêtus, comme on le remarque dans le tableau, de chapeaux haut de forme,
comme il sied pour les grandes occasions, on voit chez certains le
foulard porté haut sur la figure et les cheveux longs. Ces Incroyables évoluaient
en société et se réunissaient sans les salons de Barras ou encore de
Theresa Tallien. Ils adoptaient un langage qui leur était propre, avec
la particularité d’omettre les « r » lorsqu’ils s’exprimaient,
cette lettre rappelant trop le mot « Révolution ».
Appelées Merveilleuses, les dames adoptaient un habillage propre à l’Antiquité
païenne. Elles portaient des robes décolletées très légères, d’une
transparence qui rappelle les tuniques antiques, avec une taille assez
haute, et des chapeaux amplement fournis de plumes et de rubans. C’est
ainsi qu’on pouvait trouver les robes « à la Diane », les tuniques
« à la Minerva » ou encore les redingotes « à la Galathée ». Cette
allusion à l’antique se retrouve même dans le nom du jardin où la
scène se situe : il reprend le nom du Jardin Tivoli de Rome, où se situe
la fameuse Villa d’Este. La statue antique que l’on aperçoit
à droite, habillée comme les dames dansant, illustre ce retour à l’antique
des mœurs de l’époque. Cette classe aisée de la société développait
une sorte de recherche effrénée du négligé, contraire au costume de
rigueur et de bienséance.
L’attitude des personnages de notre tableau illustre une ère
nouvelle. La chute de Robespierre marque la fin de la Terreur, laissant
la place au Directoire. Désormais les marchands peuvent eux-mêmes fixer
les prix de leurs marchandises. C’est ainsi que les magasins
commencent à ouvrir et à élargir leurs étalages, et qu’apparait la
frénésie de la mode et des plaisirs, avec pour but d’oublier et de
célébrer la fin de ces années de Terreur. Outre la mode vestimentaire,
on assiste à une effervescence des plaisirs, des jeux et des rencontres.
La scène peinte ici montre des couples discutant galamment au premier
plan, puis une ronde de couples s’adonnant joyeusement au plaisir
de la danse. A l’inverse du Jardin des Tuileries où la promenade
et la bienséance étaient de rigueur, le Jardin de Tivoli était l’endroit
parisien par excellence où l’on donnait des fêtes insensées, où l’on
s’amusait, jouait et dansait.