Description
GREEN JULIEN (1900-1998) ECRIVAIN AMERICAIN DE LANGUE FRANÇAISE, MEMBRE DE L'ACADEMIE FRANÇAISE
85 lettres autographes signées, la plupart « Julian H. Green » ou « Green » + 1 sonnet et 3 pièces autographes canularesques, environ 300 pages in-12, in-8 ou in-4 ; années 1916 à 1920. Infimes défauts à trois ou quatre pièces. Quelques en-têtes.
CORRESPONDANCE DE JEUNESSE ADRESSEE A SON AMI OSCAR-PAUL GILBERT, ECRIVAIN D'ORIGINE BELGE (1892-1972).
La famille Gilbert ayant été chassée de Belgique par l'invasion allemande, elle trouve refuge à Paris en hiver 1914. Oscar-Paul rencontre Julien au lycée Janson de Sailly. Après l'armistice, le jeune Belge entreprend des études de philologie romane à la Sorbonne, commence à écrire et devient grand reporter à France-Soir, L'Aurore et au Soir de Bruxelles. Il rédige de nombreux romans, dont Le Drame de Shangaï, travaille pour les radios et télévisions. Affectueuse et confiante, sa correspondance avec Julien Green est brusquement interrompue en 1920.
40 000 / 60 000 CHF 1916. Green annonce à son ami l'envoi de vers et de prose : « ... Tu trouveras sans doute qu'il y a beaucoup de présomption à faire un sonnet à seize ans. Mais tant pis. Quant au intitulé 'La Morte' (c'est gai), c'est peut-être ce que j'ai fait de plus personnel, de plus intime, depuis que nous nous connaissons... Sois donc indulgent... » - Peu après, il part rejoindre sa saeur Eleanor à Gênes, ville dont il donne une très jolie description et où il profite de la mer : « ... c'est souvent assez dur de travailler ici ; on se sent si paresseux lorsqu'il fait chaud et l'on a plus du tout envie de débrouiller une version ou de tourner un thème... » - 29 août : critique des vers envoyés par Gilbert et jugements littéraires : « ... Je ne comprends pas ton admiration pour Baudelaire. Ses idées de fossoyeur m'ennuient à périr. Sans doute, il y a dans Les Fleurs du Mal des poésies délicieuses, mais ce sont justement, à mon avis, celles que son effroi de la mort n'a pas inspiré... » ; il a lu Le Rêve de Zola : « ... Ce mélange de réalisme et de merveilleux ne m'a pas beaucoup plu... ». Il dessine aussi, fait des paysages au pastel : « ... J'en suis venu à deux conclusions. 1° que je tiens mieux le crayon que la plume. 2° que la nature m'intéresse beaucoup plus que ces affreux plâtres du Lycée et que je donnerais tous les Nérons et les Ecorchés du monde pour un cyprès d'Italie... » - Il vient de lire La Puissance des ténèbres de Tolstoï, « pièce effrayante que je te conseille de lire » - « ... Je me suis acheté quelques volumes de Hugo ces jours-ci. Il m'éblouit. J'ai beau m'en défendre et me répéter que son théâtre ne tient pas debout, que ses romans sont faux, je ne me lasse pas de le lire et le relire... ».
1917. Janvier : « ... tu sais peut-être que j'ai horreur d'écrire des lettres pour l'excellente raison que je ne sais pas m'y prendre. Je lis, je relis, je pèse les mots et les phrases, je déchire et je recommence, mais tout me semble si désespérément plat et faux que je renonce, par dépit... ». En août, il est au service militaire : « ... Nous sommes logés dans une immense ferme aux murs de forteresse et que les Allemands ont occupé avant nous : les rats et les mulots sont là pour le dire... Il est curieux de remarquer comme les Américains s'imaginent que le monde date d'un siècle ou deux et qu'avant la formation des Etats-Unis l'Europe était à demi sauvage. Exemple : il y a tout près d'ici, une très belle église romane que nous visitions l'autre jour. Quelqu'un observa que toutes les têtes d'évêques et de saints groupés aux portails avaient été brisées. C'est l'aeuvre, tu sais comme moi, des vandales de 1789. L'un de nous (pas moi) s'empressa de le dire. 'Comment ? s'écrièrent les autres, cette église est antérieure à la Révolution ? et ceci avec le plus profond étonnement... ». Dans cette lettre, Green exprime pour la première fois ses incertitudes religieuses : « ... J'ai ici un livre, un seul, 'l'Imitation' qui me suffit largement. Je prends un immense plaisir à lire des préceptes que je n'ai pas du tout l'intention de suivre... cependant je les lis et les relis. C'est presque une hypocrisie... » - Eté 1917 : « ... Dans le petit village déserté que nous habitons, je suis parvenu à me procurer quelques livres médiocres : Claude Farrère, Colette Willy. Parfois des officiers de passage me donnent des journaux que je dévore. L'ouvrage ne nous manquera pas, bientôt, mais en attendant l'ennui est mortel... » - Septembre : Il a peu d'interlocuteurs valables. « ... Il m'arrive souvent de passer des heures en forêt à monologuer comme un fou ; je fourre des livres dans ma poche et je vais les lire au pied d'un arbre, le bruissement des feuilles remplace à grand avantage l'horrible bourdon des vox de caserne... » - Octobre : « ... Quand je songe à tout ce que je croyais il y a seulement quelques mois, je m'étonne de l'étroitesse de mes vues d'alors. Ne t'imagines pas que j'aie perdu la Foi : ma foi n'est que plus grande, plus inébranlable qu'auparavant, et peut-être n'est-il pas insensé de dire qu'elle est moins aveugle et un peu plus humaine. Je ne te parlerai pas de la grande misère des pays dévastés... Je t'avoue... que j'en suis souvent déprimé... » ; il trouve le temps de préparer son examen de Philosophie pour juillet « de sorte que je ne suis pas du tout à plaindre ».
1918. Mars. Toujours cette angoisse du doute religieux : « ... Christ a prêché la loi d'amour et de pardon. Or, voici près de dix neuf siècles qui se sont écoulés après sa parole. Et son règne n'est pas établi. Est-ce le fait d'un dieu ?... ce m'est une souffrance aigüe de douter du 'maître en clémence'... je compte... aller à Rome au mois de mai. Peut-être réussirai-je à raffermir mon catholicisme, que je vois, l'âme déchirée, se désagréger et s'en aller par débris... tu es le premier à qui j'ai confié cette triste transformation de mon esprit. Tu seras sans doute le seul... » - « ... C'est une torture morale dont je ne connais pas l'équivalent. Rien, pas même la mort de ma saeur survenue en janvier, ne m'a disloqué l'âme... comme cette période d'indécision... Il m'a semblé que Jésus me reniait. Et alors, quel vide dans mon caeur, quel immense dégoût de tout... Je suis à présent dans une impasse. Je suis décidé à faire tout ce qui me sera possible pour conserver et fortifier ma foi sans toutefois lui sacrifier les exigences de ma raison. Ce germe de doute qui m'inquiète tant, a son origine, je crois, dans ce fait que je ne suis pas parvenu à concilier mon catholicisme et cette guerre. La guerre qui est en quelque sorte une reculade de la civilisation dénonce un manque de logique dans le plan de Dieu... Je lis et j'écris énormément... Je lis exclusivement des auteurs modernes, poètes et prosateurs... qui m'aident à mieux comprendre l'âme de la société moderne... Je suis entre Venise et Trévise, deux villes que j'ai visitées avec une joie profonde, ainsi que Turin, Milan, Padoue et de nouveau Gênes... » - Avril : longue lettre d'Italie, poignante et prémonitoire, toute relative à ses doutes, au déclin de sa foi et à son avenir : « ... Il est trop vrai que le raisonnement est impuissant dans mon cas. L'âme jaillit vers son Dieu dans un élan que nul ne peut comprendre. C'est là le secret de la Mystique. Si l'élan est brisé, s'en est à jamais fini et la froide raison, moins que tout autre chose, ne fera pas naître à nouveau ce généreux et spontané mouvement du caeur... » ; et plus loin : « ...je ne vise ni à la gloire ni à la renommée ; ce serait trop ridicule. Seulement je ne veux pas mourir à tout jamais. Je veux qu'après ma mort, mon nom signifie quelque chose à une toute petite élite, qu'il évoque l'idée d'une personnalité nette et bien définie. Egoïsme, non, mais devoir. Il s'est fait que je naisse avec un germe d'intelligence ; il serait à mon avis criminel, hautement immoral que je ne développe pas ce germe et que cette intelligence ne se marque pas en quelque ouvrage... Je ne veux pas avoir été inutile, médiocre, nul. Je veux avoir produit de façon qu'il y ait pour moi, dans la mémoire d'une infime partie de l'humanité, une place qui me sauve de cette seconde mort, l'oubli, et justifie mon travail et si j'en aurai eu, mon talent. Mais encore une fois, je veux vivre ignoré, quitte à plus tard survivre, un peu connu. Du reste, viser à être illustre, au cours de notre vie, c'est souvent viser à l'effet... au faux. Qui veut la célébrité écrit presque toujours pour les masses ; or écrire pour la foule, c'est devenir vulgaire... s'imposer ses idées... Il faut... pour suivre la règle de l'Art pour l'Art, écrire pour soi d'abord et pour un petit nombre d'amis. L'humanité qui est parfois juste, jugera plus tard des aeuvres... », etc. - En juin, il est à Gênes, après trois semaines passées à Rome où il a trouvé « ... l'irréligion la plus complète, la plus blasphématoire et la plus injurieuse pour une majesté divine : je veux parler de ce Catholicisme mondain qui transforme les chapelles en petits salons et St Pierre en un vaste lieu de rendez-vous odieux... ». Sévère critique des églises romaines, dont St Pierre : « ... de l'or partout où il est possible d'en fourrer, et toujours une dizaine d'anges joufflus dont le Bernin s'est plu à infester la ville... » ; il a beaucoup admiré, par contre, les églises byzantines et celles de St Clément et Ste Agnès qui lui remémorent Saint-Julien le Pauvre. La lettre se termine par une citation de Léon Bloy, amère, répondant à ses ennemis qui le critiquait violemment à propos de son livre Le Mendiant ingrat : « Je termine en sollicitant avidement votre mépris et s'il est possible vos injures. Elles me consoleront de quelques éloges » - 7 juillet : Appréhension du baccalauréat tout proche et qui l'oblige à « ingérer tout ce qu'il est parfaitement inutile de savoir », et longue critique de Némésis de Paul Bourget « que tu n'as pas lu et que tu ne liras pas. Tu n'y perdras guère » ; critique, aussi, des vers de son ami (longue lettre de six pages) - Ses lectures : Tristan et Iseult, G. Lambert (dont il transcrit quelques vers), Fogazzaro, D'Annunzio, H. de Régnier, Huysmans, Zola, Goncourt, Maupassant... « ... aussi Brantôme qui justement rappelle assez Maupassant par sa complète amoralité, ainsi que par la verveet la bonne humeur de son style... » - Août, à Paris : il lit la « Rome » de Zola, « ... aeuvre fort lourde et souvent pénible à lire mais il est indéniable que l'ensemble est très grandiose et laisse une juste impression de la grande ville déchue, rongée de misère, mais splendide encore... Zola nous fait un portrait du pape Léon XIII dont la figure domine tout le livre... J'ai fini aussi... une pièce de F. de Croisset, 'Le Paon'... » - Sur l'église d'Avon, du Xe siècle - Une page comique sur les visiteurs du château de Fontainebleau - Problème de nationalité : bien qu'Américain, la préfecture de police lui refuse des papiers d'étrangers, le risque est maintenant qu'il soit enrôlé dans les deux armées ! Description de ses longues promenades dans Paris. Résumé de la pièce qu'il a commencé à écrire - Amusante longue lettre racontant sa visite au Bureau de recrutement où il s'est rendu pour supplier qu'on l'enrôle, etc.
1919. En octobre, Julien Green retourne en Amérique sur le Patria après avoir séjourné à Naples, Palerme et Almeria : déchirement d'âme, descriptions, une journée à Pompeï, etc. ; il lit Poe - Sonnet intitulé « Les condamnés à mort » écrit le 8 octobre sur le bateau - Arrivée à New York (papier avec vue de l'Hôtel Woodward), donne son adresse à Savannah, puis à Charlottesville en Virginie, à l'Université. Explique ce qu'il est devenu, l'espèce de rêve dans lequel il a vécu à New York pendant six ou sept jours. Description et dessin de sa chambre. Belles lignes sur la prétention des Américains à se croire supérieurs à toute civilisation. Lecture de St Paul, « ce rude génie ». Solitude. Regrets de Paris. Lectures encore : Shakespeare, Pensées de Pascal, le cardinal Newman. Affection pour Molière - Sur la psychiatrie, « ... fausse science qui, donnant une part énorme à l'imagination et trop peu au raisonnement, doit fatalement conduire à la démence et au suicide... » - Curieuse photographie de lui, prise à Paris avant son départ : « j'ai l'air d'un fou triste » - S'ennuie. Impression de ne pas être dans un pays civilisé. Population obsédée par le football, le cinéma, le billard et les dés. Grand tralala à l'Université, cérémonie ridicule. Il continue son Journal. Description féroce de quelques camarades : boire et faire l'amour avec intermezzo de foot, c'est tout leur idéal. Questions à propos d'un livre de Jules Romains. En décembre, lettre de consolation à O.-P. Gilbert à la suite d'une déception sentimentale : « ... Je voudrais que tu saches bien que je suis ton frère vivant... ». Cite la Danse macabre de Baudelaire - Très belle lettre sur la 9ème Symphonie et l'Héroïque de Beethoven, et sur le Tannhauser de Wagner : « ... Combien étaient-ils à comprendre ces choses, les plats crétins qui jonchaient les fauteuils ? Ah ! n'y pensons pas. J'aime à croire qu'ils étaient là exprès pour boucher les trous, pour remplir, pour empêcher l'écho de mieux résonner, pour que moi Julian H. Green, j'entende mieux !... » - Lit « plus que jamais » : Oscar Wilde, Pascal.
1920. Belle lettre de février sur Oscar Wilde et la Ballade de la geôle de Reading -Green fait très souvent allusion à son Journal, qu'il écrit un peu chaque jour : « ... Mon Journal prospère... J'ai relu quelques pages de mon Journal qui devient depuis quelques temps une chose lugubre... ». Il compte l'envoyer à son ami : « ... Inutile de te dire comme je tiens à ces écrits qui sont l'expression, fidèle jusqu'à la cruauté, de tout mon caeur !... » - Très belle lettre sur la 9ème Symphonie et l'Héroïque de Beethoven, et sur Wagner - Dernière lettre de Savannah, le 18 juillet 1920, très émouvante. Il a retrouvé la foi, et exhorte son ami à faire de même.
Il nous est impossible de donner de plus amples extraits, il faudrait citer en entier ces lettres si sincères ; toutes sont extrêmement intéressantes, longues et révélatrices des pensées de leur auteur, de ses lectures, de ses angoisses religieuses, de ses admirations ou vives critiques, de ses promenades, de ses voyages avec très belles et pénétrantes descriptions, de sa philosophie de la vie. Enfin, remarquons le style de ce jeune homme, qui deviendra un de nos plus grands écrivains...morceau intitulé 'La Morte' (c'est gai), c'est peut-être ce que j'ai fait de plus personnel, de plus intime, depuis que nous nous connaissons... Sois donc indulgent...» - Peu après, il part rejoindre sa soeur Eleanor à Gênes, ville dont il donne une très jolie description et où il profite de la mer: «... c'est souvent assez dur de travailler ici; on se sent si paresseux lorsqu' il fait chaud et l'on a plus du tout envie de débrouiller une version ou de tourner un thème...» - 29 août: critique des vers envoyés par Gilbert et jugements littéraires: «... Je ne comprends pas ton admiration pour Baudelaire. Ses idées de fossoyeur m'ennuient à périr. Sans doute, il y a dans Les Fleurs du Mal des poésies délicieuses, mais ce sont justement, à mon avis, celles que son effroi de la mort n'a pas inspiré...»; il a lu Le Rêve de Zola: «... Ce mélange de réalisme et de merveilleux ne m'a pas beaucoup plu...». Il dessine aussi, fait des paysages au pastel: «... J'en suis venu à deux conclusions. 1° que je tiens mieux le crayon que la plume. 2° que la nature m' intéresse beaucoup plus que ces affreux plâtres du Lycée et que je donnerais tous les Nérons et les Ecorchés du monde pour un cyprès d'Italie...» - Il vient de lire La Puissance des ténèbres de Tolstoï, «pièce effrayante que je te conseille de lire» - «... Je me suis acheté quelques volumes de Hugo ces jours-ci. Il m' éblouit. J'ai beau m'en défendre et me répéter que son théâtre ne tient pas debout, que ses romans sont faux, je ne me lasse pas de le lire et le relire...».
1917. Janvier: «... tu sais peut-être que j'ai horreur d' écrire des lettres pour l'excellente raison que je ne sais pas m'y prendre. Je lis, je relis, je pèse les mots et les phrases, je déchire et je recommence, mais tout me semble si désespérément plat et faux que je renonce, par dépit...». En août, il est au service militaire: «... Nous sommes logés dans une immense ferme aux murs de forteresse et que les Allemands ont occupé avant nous: les rats et les mulots sont là pour le dire... Il est curieux de remarquer comme les Américains s'imaginent que le monde date d'un siècle ou deux et qu'avant la formation des Etats-Unis l'Europe était à demi sauvage. Exemple: il y a tout près d' ici, une très belle église romane que nous visitions l'autre jour. Quelqu'un observa que toutes les têtes d' évêques et de saints groupés aux portails avaient été brisées. C'est l'oeuvre, tu sais comme moi, des vandales de 1789. L'un de nous (pas moi) s'empressa de le dire. ?Comment? s' écrièrent les autres, cette église est antérieure à la Révolution? et ceci avec le plus profond étonnement...». Dans cette lettre, Green exprime pour la première fois ses incertitudes religieuses: «... J'ai ici un livre, un seul, ? l'Imitation' qui me suffit largement. Je prends un immense plaisir à lire des préceptes que je n'ai pas du tout l' intention de suivre... cependant je les lis et les relis. C'est presque une hypocrisie...»
Eté 1917: «... Dans le petit village déserté que nous habitons, je suis parvenu à me procurer quelques livres médiocres: Claude Farrère, Colette Willy. Parfois des officiers de passage me donnent des journaux que je dévore. L'ouvrage ne nous manquera pas, bientôt, mais en attendant l'ennui est mortel...» - Septembre: Il a peu d'interlocuteurs valables. «... Il m'arrive souvent de passer des heures en forêt à monologuer comme un fou; je fourre des livres dans ma poche et je vais les lire au pied d'un arbre, le bruissement des feuilles remplace à grand avantage l' horrible bourdon des vox de caserne...» - Octobre: «... Quand je songe à tout ce que je croyais il y a seulement quelques mois, je m' étonne de l' étroitesse de mes vues d'alors. Ne t'imagines pas que j'aie perdu la Foi: ma foi n'est que plus grande, plus inébranlable qu'auparavant, et peut-être n'est-il pas insensé de dire qu'elle est moins aveugle et un peu plus humaine. Je ne te parlerai pas de la grande misère des pays dévastés... Je t'avoue... que j'en suis souvent déprimé...»; il trouve le temps de préparer son examen de Philosophie pour juillet «de sorte que je ne suis pas du tout à plaindre».
1918. Mars. Toujours cette angoisse du doute religieux: «... Christ a prêché la loi d'amour et de pardon. Or, voici près de dix neuf siècles qui se sont écoulés après sa parole. Et son règne n'est pas établi. Est-ce le fait d'un dieu?... ce m'est une souffrance aigüe de douter du ?maître en clémence'... je compte... aller à Rome au mois de mai. Peut-être réussirai-je à raffermir mon catholicisme, que je vois, l' âme déchirée, se désagréger et s'en aller par débris... tu es le premier à qui j'ai confié cette triste transformation de mon esprit. Tu seras sans doute le seul...» - «... C'est une torture morale dont je ne connais pas l' équivalent. Rien, pas même la mort de ma soeur survenue en janvier, ne m'a disloqué l' âme... comme cette période d' indécision... Il m'a semblé que Jésus me reniait. Et alors, quel vide dans mon coeur, quel immense dégoût de tout... Je suis à présent dans une impasse. Je suis décidé à faire tout ce qui me sera possible pour conserver et fortifier ma foi sans toutefois lui sacrifier les exigences de ma raison. Ce germe de doute qui m' inquiète tant, a son origine, je crois, dans ce fait que je ne suis pas parvenu à concilier mon catholicisme et cette guerre. La guerre qui est en quelque sorte une reculade de la civilisation dénonce un manque de logique dans le plan de Dieu... Je lis et j' écris énormément... Je lis exclusivement des auteurs modernes, poètes et prosateurs... qui m'aident à mieux comprendre l'âme de la société moderne... Je suis entre Venise et Trévise, deux villes que j'ai visitées avec une joie profonde, ainsi que Turin, Milan, Padoue et de nouveau Gênes...» - Avril: longue lettre d'Italie, poignante et prémonitoire, toute relative à ses doutes, au déclin de sa foi et à son avenir: «... Il est trop vrai que le raisonnement est impuissant dans mon cas. L' âme jaillit vers son Dieu dans un élan que nul ne peut comprendre. C'est là le secret de la Mystique. Si l' élan est brisé, s'en est à jamais fini et la froide raison, moins que tout autre chose, ne fera pas naître à nouveau ce généreux et spontané mouvement du coeur...»; et plus loin: «...je ne vise ni à la gloire ni à la renommée; ce serait trop ridicule. Seulement je ne veux pas mourir à tout jamais. Je veux qu'après ma mort, mon nom signifie quelque chose à une toute petite élite, qu' il évoque l' idée d'une personnalité nette et bien définie. Egoïsme, non, mais devoir. Il s'est fait que je naisse avec un germe d' intelligence; il serait à mon avis criminel, hautement immoral que je ne développe pas ce germe et que cette intelligence ne se marque pas en quelque ouvrage... Je ne veux pas avoir été inutile, médiocre, nul. Je veux avoir produit de façon qu' il y ait pour moi, dans la mémoire d'une infime partie de l' humanité, une place qui me sauve de cette seconde mort, l'oubli, et justifie mon travail et si j'en aurai eu, mon talent. Mais encore une fois, je veux vivre ignoré, quitte à plus tard survivre, un peu connu. Du reste, viser à être illustre, au cours de notre vie, c'est souvent viser à l'effet... au faux. Qui veut la célébrité écrit presque toujours pour les masses; or écrire pour la foule, c'est devenir vulgaire... s'imposer ses idées... Il faut... pour suivre la règle de l'Art pour l'Art, écrire pour soi d'abord et pour un petit nombre d'amis. L' humanité qui est parfois juste, jugera plus tard des oeuvres...», etc.
En juin, il est à Gênes, après trois semaines passées à Rome où il a trouvé «... l' irréligion la plus complète, la plus blasphématoire et la plus injurieuse pour une majesté divine: je veux parler de ce Catholicisme mondain qui transforme les chapelles en petits salons et St Pierre en un vaste lieu de rendezvous odieux...». Sévère critique des églises romaines, dont St Pierre: «... de l'or partout où il est possible d'en fourrer, et toujours une dizaine d'anges joufflus dont le Bernin s'est plu à infester la ville...»; il a beaucoup admiré, par contre, les églises byzantines et celles de St Clément et Ste Agnès qui lui remémorent Saint-Julien le Pauvre. La lettre se termine par une citation de Léon Bloy, amère, répondant à ses ennemis qui le critiquait violemment à propos de son livre Le Mendiant ingrat: «Je termine en sollicitant avidement votre mépris et s' il est possible vos injures. Elles me consoleront de quelques éloges» - 7 juillet: Appréhension du baccalauréat tout proche et qui l'oblige à «ingérer tout ce qu' il est parfaitement inutile de savoir», et longue critique de Némésis de Paul Bourget «que tu n'as pas lu et que tu ne liras pas. Tu n'y perdras guère»; critique, aussi, des vers de son ami (longue lettre de six pages) - Ses lectures: Tristan et Iseult, G. Lambert (dont il transcrit quelques vers), Fogazzaro, D'Annunzio, H. de Régnier, Huysmans, Zola, Goncourt, Maupassant... «... aussi Brantôme qui justement rappelle assez Maupassant par sa complète amoralité, ainsi que par la verveet la bonne humeur de son style...» - Août, à Paris: il lit la «Rome» de Zola, «... oeuvre fort lourde et souvent pénible à lire mais il est indéniable que l'ensemble est très grandiose et laisse une juste impression de la grande ville déchue, rongée de misère, mais splendide encore... Zola nous fait un portrait du pape Léon XIII dont la figure domine tout le livre... J'ai fini aussi... une pièce de F. de Croisset, ?Le Paon'...» - Sur l'église d'Avon, du Xe siècle - Une page comique sur les visiteurs du château de Fontainebleau - Problème de nationalité: bien qu'Américain, la préfecture de police lui refuse des papiers d'étrangers, le risque est maintenant qu'il soit enrôlé dans les deux armées ! Description de ses longues promenades dans Paris. Résumé de la pièce qu'il a commencé à écrire - Amusante longue lettre racontant sa visite au Bureau de recrutement où il s'est rendu pour supplier qu'on l'enrôle, etc.
1919. En octobre, Julien Green retourne en Amérique sur le Patria après avoir séjourné à Naples, Palerme et Almeria: déchirement d'âme, descriptions, une journée à Pompeï, etc.; il lit Poe - Sonnet intitulé «Les condamnés à mort» écrit le 8 octobre sur le bateau - Arrivée à New York (papier avec vue de l'Hôtel Woodward), donne son adresse à Savannah, puis à Charlottesville en Virginie, à l'Université. Explique ce qu'il est devenu, l'espèce de rêve dans lequel il a vécu à New York pendant six ou sept jours. Description et dessin de sa chambre. Belles lignes sur la prétention des Américains à se croire supérieurs à toute civilisation. Lecture de St Paul, «ce rude génie». Solitude. Regrets de Paris. Lectures encore: Shakespeare, Pensées de Pascal, le cardinal Newman. Affection pour Molière - Sur la psychiatrie, «... fausse science qui, donnant une part énorme à l'imagination et trop peu au raisonnement, doit fatalement conduire à la démence et au suicide...» - Curieuse photographie de lui, prise à Paris avant son départ: «j'ai l'air d'un fou triste» - S'ennuie. Impression de ne pas être dans un pays civilisé. Population obsédée par le football, le cinéma, le billard et les dés. Grand tralala à l'Université, cérémonie ridicule. Il continue son Journal. Description féroce de quelques camarades: boire et faire l'amour avec intermezzo de foot, c'est tout leur idéal. Questions à propos d'un livre de Jules Romains. En décembre, lettre de consolation à O.-P. Gilbert à la suite d'une déception sentimentale: «... Je voudrais que tu saches bien que je suis ton frère vivant...». Cite la Danse macabre de Baudelaire - Très belle lettre sur la 9ème Symphonie et l'Héroïque de Beethoven, et sur le Tannhauser de Wagner: «... Combien étaient-ils à comprendre ces choses, les plats crétins qui jonchaient les fauteuils? Ah ! n'y pensons pas. J'aime à croire qu' ils étaient là exprès pour boucher les trous, pour remplir, pour empêcher l' écho de mieux résonner, pour que moi Julian H. Green, j'entende mieux !...» - Lit «plus que jamais»: Oscar Wilde, Pascal. 1920. Belle lettre de février sur Oscar Wilde et la Ballade de la geôle de Reading - Green fait très souvent allusion à son Journal, qu'il écrit un peu chaque jour: «... Mon Journal prospère... J'ai relu quelques pages de mon Journal qui devient depuis quelques temps une chose lugubre...». Il compte l'envoyer à son ami: «... Inutile de te dire comme je tiens à ces écrits qui sont l'expression, fidèle jusqu' à la cruauté, de tout mon coeur !...» - Très belle lettre sur la 9ème Symphonie et l'Héroïque de Beethoven, et sur Wagner - Dernière lettre de Savannah, le 18 juillet 1920, très émouvante. Il a retrouvé la foi, et exhorte son ami à faire de même. Il nous est impossible de donner de plus amples extraits, il faudrait citer en entier ces lettres si sincères; toutes sont extrêmement intéressantes, longues et révélatrices des pensées de leur auteur, de ses lectures, de ses angoisses religieuses, de ses admirations ou vives critiques, de ses promenades, de ses voyages avec très belles et pénétrantes descriptions, de sa philosophie de la vie. Enfin, remarquons le style de ce jeune homme, qui deviendra un de nos plus grands écrivains...
Notes
Julien Green (September 6, 1900 - August 13, 1998), was an American writer, who authored several novels, includingLéviathan and Each in His Own Darkness. He wrote primarily in French.
Julian Hartridge Green was born to American parents in Paris, a descendant on his mother's side of a Confederate Senator,Julian Hartridge (1829-1879), who later served as a Democratic Representative from Georgia to the US Congress, and who was Julien Green's namesake. (Green was christened "Julian", the spelling was changed by his French publisher in the 1920s to "Julien".)
The youngest of eight children born to Protestant parents. He had a very puritanical and overprotective upbringing, his mother being extremely sexually repressive (later Green would grow into an anguished and egodystonic homosexual).Green became a Roman Catholic in 1916, two years after his mother's death.The following year, still only 16, he volunteered his services as an ambulanceman in the American Field Service. When his age was discovered his enlistment was annulled. He immediately signed up with an ambulance unit of the American Red Cross, and when that six-month term of service ended in 1918, he enlisted in the French Army, in which he served as a second lieutenant of artillery until 1919. He was educated at the University of Virginia in the United States from 1919-22. His career as one of the major figures of French literature in the 20th century started soon after his return from the United States.
In July 1940, after France's defeat, he went back to America. In 1942, he was mobilized and sent to New York to work at the United States Office of War Information. From there, for almost a year, five times a week, he would address France as part of the radio broadcasts of Voice of America, working inter alia with André Breton and Yul Brynner. Green went back to France right after the end of World War II. Most of his books focused on the ideas of faith and religion as well as hypocrisy.
Several dealt with the southern United States, and he strongly identified with the fate of the Confederacy, characterizing himself throughout his life as a "Sudiste". He inherited this version of patriotism from his mother, who came from a distinguished southern family. Some years before Julien's birth, when Julien's father was offered a choice of posts (with his bank) in either Germany or France, Julien's mother urged the choice of France on the grounds that the French were "also a proud people, recently defeated in war, and we shall understand one another." (The reference was to France's 1871 defeat in the Franco-Prussian War).
In France, both during his life and today, Green's fame rests principally not on his novels, but on his journals, published in ten volumes, and spanning the years 1926-1976. These volumes provide a chronicle of his literary and religious life, and a unique window on the artistic and literary scene in Paris over a span of half a century. Green's style, austere and employing to great effect the passé simple, a literary tense nearly abandoned by many of his French contemporaries, found favor with the Académie française. Green resigned from the Académie shortly before his death, citing his American heritage and loyalties.
While Green wrote primarily in the French language, he also wrote in English. He translated some of his own works from French to English, sometimes with the help of his sister, Anne Green, an author herself. A collection of some of his translations is published in Le langage et son double, with a side-by-side French-English format, facilitating direct comparison. Despite his being bilingual, Green's texts remain largely unknown in the English-speaking world. Thus far three of his books have been turned into films: Léviathan (1962), for which he wrote the screenplay, is the most famous. Adrienne Mesurat (1953), and La Dame de pique (1965) were also adapted to film.
Green adopted gay fiction writer Éric Jourdan as his son. According to Jourdan, Green decided to move to a house belonging to Caterina Sforza in Forlì, Italy, in 1994. However, Green did not move to this house because his health was failing.
Green was the first non-French national to be elected to the Académie française. Fittingly, he succeeded François Mauriac, taking chair number 22 on June 3, 1971. It was commonly believed he had dual citizenship, but in fact, although born in Paris and writing almost exclusively in the French language, he had never become a French citizen. President Georges Pompidou reportedly offered him French citizenship in 1972 but Green declined.
He died in Paris, shortly before his 98th birthday, and was buried in the parish church of Klagenfurt, Austria.
Julien Green, novelist, autobiographer, dramatist, critic, and first non-French national elected to the Académie Française (1971), was greatly attached to his American nationality and to his roots in Georgia. A large section of his writing constitutes a quest for identity by an American living abroad in France.
Early Years
Green was born in Paris of American parents; his mother was from Savannah, Georgia, his father from Virginia. He was baptized Julien Hartridge Green in honor of his maternal grandfather, Georgia congressman Julian Hartridge. His paternal grandfather, Charles Green, from Halesowen, England, attained great wealth in the cotton industry in Savannah, where his magnificent Tudor-style mansion, the Green-Meldrim House, was completed in 1861.
Green's father, Edward, had a bent for speculation that led to financial losses and the acceptance of a post with a cotton agency in Le Havre, France, where he already had business contacts. The family left for Le Havre in 1893 and moved in 1897 to Paris, where their eighth child, Julien, was born on September 6, 1900. Julien's childhood was imbued with his mother's stories of the Civil War (1861-65) and her regret that the South had lost the war. This created in Green a nostalgia for his Georgian roots and a sense of exile, a prominent theme in his novels. His mother died when he was fourteen, and he was converted to Catholicism at sixteen. In 1919 he thought of becoming a Benedictine monk but later abandoned the idea.
University of Virginia, 1919-1922
During World War I, Green enlisted in the American Field Service in 1917 and later transferred to the French Foreign Legion and then to the regular French army. After the war, in 1919, he left for America to enroll at the University of Virginia, where he studied Latin, Greek, English literature, history, German, and elementary Spanish.
This was a significant period in his career. On the level of his quest for identity, he became acquainted with various family relatives in Savannah and elsewhere. On a personal level there was his encounter with a man whom he called Mark. This platonic relationship left Green burdened with his inability to express his love for Mark. Many of Green's characters share this trait. He also discovered his homosexuality, which intensified his inner religious struggle between flesh and spirit, sin and grace. This conflict constitutes the central drama of his main works. Ultimately, Green's homosexuality led him to reject Catholicism, and he did not rejoin the church until 1939.
Green published his first literary work, a short story, "The Apprentice Psychiatrist," in the University of Virginia Magazine in May 1920. In the 1920s he continued to write short stories, some of them set in Savannah. He also wrote an important article on Joyce's Ulysses that was published in the review Philosophies in May 1924. It was around this time that he began the writing of his journal, an activity that was to engage him all his life. The entries written in Virginia contain the embryo of his novels of the 1940s. Green returned to France in 1922, but he visited America again in the 1930s and spent the World War II years (1941-45) there as well.
Green the Novelist
Green's first novel, Mont-Cinère (1926; published in English as Avarice House), occurs in Virginia on the property of Kinloch, owned by one of Green's relatives. Set twenty-three years after the end of the Civil War, the novel focuses on a mother and daughter who live in an atmosphere of tension, resentment, and greed. His novels of the 1930s and 1940s deal with family relationships, violence, the quest for identity, and escape into the fantastic and the world of dreams. The main novels of these years are Epaves (1932; The Strange River), Le visionnaire (1934; The Dreamer), Minuit (1936; Midnight), and Si j'étais vous (1947; If I Were You). Green's interest in eastern mysticism, which developed during the 1930s, is especially evident in such novels of the 1940s as Varouna (1940; Then Shall the Dust Return) and Si j'etais vous, both of which, according to critic John M. Dunaway, concern the migration of souls.
Green's masterpiece is undoubtedly Moïra (1950; published in English under the same title), an autobiographical novel set at the University of Virginia and dominated by the conflict between flesh and spirit, sin and grace. His next novel, Chaque homme dans sa nuit (1960; Each in His Darkness), is partly set in the Wormsloe Historic Site near Savannah and presents a more positive vision of Catholicism.
The culmination of Green's quest for his Georgian roots is his series of novels on the Civil War, "the Dixie trilogy," written in the 1980s and 1990s. Here Green gives full vent to his passion for the South in a vivid and sometimes sentimental evocation of life in Savannah before and during the Civil War.
Other Writings
Green's journal stretches from 1928 to 1996 and deals with a wide variety of topics, including the problems of creative writing, religion, travel, and his conversations with leading twentieth-century French writers. It gives an interesting and moving analysis of his childhood, of his involvement in World War I, and of his study in Virginia. Green also wrote plays, the most important of which, Sud (South; 1953), explores a homosexual drama on the eve of the Civil War. In 1983 he published a biography of St. Francis of Assisi entitled Frère François (God's Fool: The Life and Times of Francis of Assisi).
Julien Green died on August 13, 1998, and is buried in Klagenfurt, Austria, where he frequently spent his holidays.