Lot 44: Henri HUKLENBROK (1871-1942) Jardin de l’artiste quai de Caumont à La Bouille (Seine-Maritime)

Henri HUKLENBROK (1871-1942)
Jardin de l’artiste quai de Caumont à La Bouille (Seine-Maritime)
Circa 1901-1903
Huile sur toile signée en bas à droite
H. 114,5 cm / L. 89 cm
H. 135 cm / L. 110 cm (avec cadre)
Expert : SASU Expertises Tellier, Paris, Marc-Henri TELLIER, membre de la CEFA

Artiste quelque peu oublié, Henri Hucklenbroich dit Huklenbrok (1871-1942) est cependant un personnage légendaire dans l’histoire de la peinture belge. Ami intime d’Henri Evenepoel (1872-1899) et de Matisse qu’il rencontra à Paris en 1895, tous trois devinrent rapidement inséparables, voyageant à travers la France et travaillant à Belle-Ile-en-Mer. A cette date, Huklenbrok était élève de Jean-Paul Laurens à l’Académie Julian « mais il était déjà par instinct et par inclination étudiant honorifique de Moreau ». Un quatrième Henri doit être mentionné comme ayant été un ami proche de Huklenbrok dans les années 1890 : Henry de Groux (1866-1930). Artiste symboliste, celui-ci était le plus connu des quatre à cette époque. « Lui et Huklenbrok étaient de jeunes iconoclastes au tempérament typiquement nordique, fermement opposés d’une part à l’académisme et d’autre part à tout ce qui touchait à l’esthétique pure. [...] Huklenbrok s’en tenait aux sujets traditionnels – paysages hollandais ou belges ou des études de personnages – traités dans une gamme de mauves et de violets affreux que Evenepoel, l’ami de Matisse, trouvait obscènes. [...] Il n’était pas en reste quand il s’agissait de se mesurer aux autres artistes de sa génération, même Evenepoel admettait que comparé aux travaux de Huklenbrok, ses propres œuvres faisaient vraiment ancien monde ».

En décembre 1896, Evenepoel et Huklenbrok retournèrent à Bruxelles. En 1897, ce dernier visita les Pays-Bas et exposa au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts à Paris, ainsi que l’année suivante. En novembre 1899, Evenepoel et Huklenbrok exposèrent ensemble au Cercle Artistique et Littéraire de Bruxelles. Considéré comme un talent prometteur, Evenepoel mourut malheureusement le mois suivant. Huklenbrok qui présentait 45 œuvres dans cette exposition commune semble, quant à lui, ne pas avoir été compris. Peu de temps après, Huklenbrok fut invité par Octave Maus à participer à l’Exposition de la Libre Esthétique, manifestation à laquelle il participa trois années de suite (une exception faite au règlement). Malgré le succès mitigé de Visite Automnale, Huklenbrok réussit à envoyer des œuvres à tous les Salons belges d’importance et ceci en tant qu’artiste « en avance sur son temps ».

En 1900, il se maria avec Milly Margreitter ( ?-1931) et eurent trois enfants, deux filles et un garçon, Henriette, Elisabeth et Christian, qui naquirent respectivement en 1901, 1902 et 1903. Dans une lettre adressée depuis La Bouille à Octave Maus et datée du 8 février 1901, Huklenbrok décrit le lieu : « Si vous connaissez la région entre Rouen et Le Havre (je veux dire la Seine !) vous avez peut-être remarqué le petit port de La Bouille situé dans une des plus jolies boucles de la rivière (sic) et nous nous sommes installés dans une jolie petite maison rose et blanche entourée de verdure et de falaises, au pied de la Seine. J’envisage de rester ici de février à novembre. J’espère que la moisson sera bonne ».

En 1901, Huklenbrok exposa à Anvers et à Gand en 1902 où il présenta une Vue de la Seine en août.

L’œuvre que nous proposons, qui date entre 1901 et 1903, est un exemple rare de l’expression artistique de Huklenbrok qui atteignit l’apogée de son talent lors de son séjour à La Bouille. Notre tableau par sa technique se rattache au néo- impressionnisme avec la juxtaposition de couleurs pures sous forme de petites touches qui, observées de loin, permettent au spectateur de reconstituer lui-même la forme. La mairie de La Bouille possède une toile qu’il leur a été offerte par le peintre, Le passage de la Seine entre La Bouille et Sahurs, datée de 1901, aux dimensions légèrement supérieures à la nôtre. Un troisième tableau de grand format peint à La Bouille existerait, mais sa localisation est inconnue.

Dans son Journal, publié en 2017 par la Maison des Sciences de l’Homme, le comte Harry Kessler (1868-1937), célèbre collectionneur et mécène allemand, dans ses notes sur ce qu’on peut voir de remarquable lors de sa visite du Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts au Grand Palais à Paris le 17 mai 1902, écrit notamment sur Henri Huklenbrok et son tableau Intérieur, visite automnale (n° 613) : « … Il est selon moi l’égal de Vuillard et Denis au niveau du talent, … » et « … Une personnalité intéressante et à suivre ». Il précise qu’il est Belge, vit à La Bouille, près de Rouen, et 14 rue Chabrol à Paris.

Malheureusement, la carrière artistique de Huklenbrok semble s’être arrêtée en 1903. Il est généralement admis qu’il a perdu l’esprit après une dépression nerveuse due, entre autres, à la mort de son cher Evenepoel. Une lettre écrite par un neveu de l’artiste, le Dr Léon Hucklenbroich, indique que c’est une période pendant laquelle Huklenbrok avait eu « une crise ». Il s’était enfui dans les bois qui entouraient sa maison de La Bouille, avait été retrouvé par son père et son oncle et ramené chez ses parents à Bruxelles. En l’état actuel de nos connaissances, il semble que Huklenbrok n’exposa plus ses œuvres après 1903, divorça vers 1910 et vécut seul à Blankenberge (Belgique) jusqu’à son décès en 1942. Notes: 1- Spurling, Hilary, The Unknown Matisse : Man of the North : 1869-1908, London, Penguin Books Ltd, 2006, p. 106.

2- Idem, p. 107.