Notes
Provenance:
Collection Cardinal Luigi Alessandro Omodei avant 1682 ;
Altomani & Sons, Pesaro en 2005.
Bibliographie:
Francesco Petrucci, sous la direction de, Mola e il suo tempo, pittura di figura a Roma dalla collezione Koelliker, cat. exp., 2005, Milan, p. 73, ill. 66 p. 75
Giovanni Battista Boncori est l'un des grands maîtres du XVIIème siècle italien. Il connut une importante notoriété de son vivant, qui lui permit de vivre aisément de son art, avant de tomber dans un oubli quasi total au fil des siècles. C'est seulement après 1989 que sa personnalité est redécouverte, grâce à l'intérét que Rosella Carloni lui porta, publiant un article innovant à son sujet (« Una traccia per Giovanni Battista Boncori e la sua scuola », in Bolletino d'Arte n° 55, maggio-giugno 1989, pp. 57-74). En effet, les derniers écrits concernant Giovanni Battista Boncori avant cette date remontent au XVIIIème siècle, et plus précisément aux Vies de Nicola Pio (Le Vite di Pittori Scultori et Architetti, 1724) et Lione Pascoli (Vite de'pittori, scultori, ed architetti moderni, volume II, 1736), grands témoins de l'histoire artistique de leur temps.
Tous deux s'accordent à dire que Boncori fut l'élève de Pier Francesco Mola à Rome, où il arriva probablement vers 1659-60. Pio seulement mentionne le premier apprentissage de Boncori dans l'atelier de Pietro da Cortona. Rosella Carloni suggère qu'il aurait ensuite voyagé sur les conseils de son maître, afin d'élargir sa formation. Il se serait donc rendu, entre 1665 et 1669, de Parme à Venise, de Ferrare à Cent, ou encore à Bologne, années durant lesquelles il étudia les œuvres de Dosso Dossi, Scarsellino, Bononi, et le Guerchin, avant de revenir s'établir à Rome (Rosella Carloni, op. cit., p. 61). Au terme de sa carrière, il fut élu le 11 janvier 1699 Principe de l'Académie de Saint Luc, honneur qui en dit long sur son talent. Affaibli par la maladie, il ne tint finalement cette place que quatre mois, avant de s'éteindre en mai de la même année.
On connaît aujourd'hui très peu de peintures de Boncori, malgré les efforts de divers historiens d'art pour retrouver la trace de certaines d'entre elles, mentionnées dans les inventaires des biens du peintre réalisés après son décès, le 22 mai 1699. Il est intéressant de noter que la production de Boncori est extrêmement documentée, alors que le corpus de ses tableaux recensés aujourd'hui est extrêmement étroit. Parmi la douzaine de tableaux connus de l’artiste citons Moïse piétinant la couronne de Pharaon (toile, 212 x 142 cm, Musée des Augustins de Toulouse), dans lequel nous retrouvons, dans le geste de Pharaon, celui du prophète Elie ; ainsi que Le Mariage mystique de Sainte Catherine (toile, 167,6 x 120,6 cm, Palmer Museum of Art, The Pennsylvania State University, n°76.49), dont les dimensions font écho aux nôtres. Enfin le canon du visage de l’ange est bien semblable au tableau Les Joueurs de Cartes ayant figuré à la vente anonyme, Paris, Hôtel Drouot, 20 mai 2009, n° 42 (Mes Baille et Robert) (toile, 194 x 146 cm), aujourd’hui au Chrysler Museum.
Comme en témoigne l'inventaire testamentaire du Cardinal Alessandro Luigi Omodei (1607-1685), stipulant la mention "un altro [quadro] di mano del Boncore di 5 e 10 palmi ... rappresentate un'Eremita con un Angelo" en date du 29 mars 1682, notre tableau fut le fruit d'une commande de son éminence. Originaire de Milan, le Cardinal Omodei fut commissaire général de l'Etat du Pape sous le pontificat d'Innocent X. Il fut aussi l'un des mécènes les plus importants à Rome au cours de la seconde moitié du XVIIème siècle. Sa collection rassemblait des œuvres des plus grands artistes italiens tels que Bordon, Castiglione, Guercino, Mola, Morazzone, Preti, Tintoreto, Tiziano ou encore Reni.
La mesure et le format remarquablement allongé du tableau rendent incontestable le fait que la note précédemment évoquée concerne notre tableau (une palme romaine correspond de nos jours à 22,23 centimètres environ).
Notre tableau illustre le chapitre 19 du Premier livre des rois de l'Ancien Testament. Après avoir affronté les quatre cent cinquante prophètes du dieu Baal sur le Mont Carmel, le prophète Elie s'enfuit dans la montagne d'Horeb, la montagne de Dieu, pour fuir la reine Jézabel qui souhaite l'égorger. Il marche alors toute la journée dans le désert, puis se couche à l'ombre d'un buisson, demandant à Dieu de venir lui-même lui ôter la vie, avant de s'endormir. C'est un extrait des deux versets suivants (5 et 6), que Boncori choisit de représenter ici, y apportant sa propre interprétation : "Mais voici qu'un ange le toucha et lui dit : "Lève-toi, et mange !"(5) Il regarda, et il y avait près de sa tête un pain cuit sur la braise et une cruche d'eau. (6)". Ici, c'est l'ange qui tient le pain dans sa main gauche, alors que sa main droite, index pointé vers le ciel ombrageux de l'arrière plan, vient certainement de tirer le prophète de son sommeil ; la cruche repose à ses pieds. Le visage levé d'Elie, appuyé sur son avant-bras droit, accentue cette idée d'instantanéité, de scène peinte sur le vif.
Comme nous le fait remarquer Petrucci, le culte d'Elie était à l'époque propre à l'ordre des carmélites, ce qu'il interprète comme étant le signe probable d'une commande du Cardinal Omodei pour un couvent carmélite romain (Francesco Petrucci, op. cit., p. 72).
La lumière qui envahit notre tableau est évidemment caravagesque. Le fort jeu de clair-obscur auquel assiste le spectateur renvoie à une symbolique spirituelle importante : le don de la grâce divine, représentée ici par la beauté de l'ange qui émerge de l'ombre. Le modelé des corps, en particulier des bras de l'ange, traduisent l'influence manifeste des sculpteurs tels que le Bernin sur la peinture romaine du XVIIème siècle, et sur l'œuvre de Boncori en particulier. Les couleurs sont aussi la marque de son apprentissage auprès de Pier Francesco Mola. Ces éléments nous permettent de dater notre peinture des années 1660-65. Cependant, nous pouvons voir dans cette œuvre que Boncori accorde une plus grande attention au dessin que son maître Mola, ainsi qu'un intérêt vif pour les tendances plus classiques qui prirent racine dans le dernier quart du siècle.
Il s'agit bien ici non seulement de l'une des rares pièces que l'on connaisse de Boncori, mais surtout d'un chef d'œuvre incontestable de l'artiste. Il nous y démontre sa grande personnalité artistique, à mi-chemin entre le naturalisme, et la culture académique dominante à Rome à l'époque du baroque tardif.
Nous remercions le Professeur Andrea Spiriti, en charge des archives du Cardinal Omodei qui nous a aidés dans la description du tableau.