Description
Richard van Orley Bruxelles, 1663 - 1732
" Les aventures de Télémaque, fils d''Ulysse ", d''après l''ouvrage de Fénelon
Suite de 85 dessins à la plume et encre brune, lavis gris
Numérotés et légendés dans le bas
Filigrane au lis dans un cartouche couronné et VILLEDARY
Dimensions de l''album : 25,30 x 38,70 cm (9,96 x 15,24 in.)
" The adventures of Telemachus, son of Odysseus ", after Fénelon, pen and brown ink, grey wash, inscribed, by R. van Orley
h: 17 w: 23,40 cm
Provenance : Collection J. Capron ;
Sa vente, Bruxelles, 6 avril 1875, n° 444 ;
Collection du comte de Sauvage ;
Sa vente, Paris, mars 1898, n° 236 (5.100 francs) ;
Collection particulière, Bruxelles
Expositions : ''Les Richesses de la bibliophilie belge'', Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier, 10 mai - 28 juin 1958, p. 75
''Richard van Orley'', Bruxelles, Chapelle de Nassau, Bibliothèque royale de Belgique, 28 novembre 2003 - 17 janvier 2004, n° 80 à 92
''Voyages dans ma bibliothèque'', Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 3 avril - 30 mai 2015, n° 65
Bibliographie : Jean Baptiste Descamps, ''La vie des peintres flamands, allemands et hollandais (...), t. III, Paris, 1760, p. 301
Guillaume-Pierre Mensaert, ''Le Peintre amateur et curieux'', Bruxelles, 1763, p. 32-33
Philippe de Chennevières et Anatole de Montaiglon (ed.), ''Abecedario de P. J. Mariette'', t. V, Paris, 1858-1859, p. 393
A.-J. Wauters, "Orley (Richard van)", in ''Biographie nationale belge'', XVI, 1901, col. 286
A.-J. Wauters, ''Les Van Orley, Valentin, Bernard, Pierre, Richard, Jean. Cinq notices biographiques'', Bruxelles, 1902, p. 53
Henri Cohen, ''Guide de l''amateur de livres à gravures du XVIIIe siècle'', Paris, 1912, p. 387
Françoise de Vaucleroy, ''Richard van Orley : "Les aventures de Télémaque, fils d''Ulysse", 86 dessins, datés de 1721'', mémoire universitaire, Bruxelles, Institut supérieur d''archéologie et d''histoire de l''art, 1986
Alain Jacobs, ''Richard van Orley'', cat. exp. Bruxelles, 2003, p. 16-17, p. 103-110 et p. 142, n° D 408 à D 492, repr.
"Voyages dans ma bibliothèque", in ''Le livre & l''estampe. Revue semestrielle de la société roayle des bibliophiles et iconophiles de Belgique'', LXI, 2015, n° 183-184 (constituant le catalogue de l''exposition), p. 140-141, n° 65, repr. p. 159 (frontispice)
Commentaire : Gravure :
Héliographies de Léon Marotte d''après les dessins numérotés 21 et 22 (Paris, B.n.F.)
L''art du XVIIIe siècle a quelque chose d''exceptionnel en ce qu''il a réussi à élaborer une unité européenne en faisant fi des divisions nationales. La France fascine l''Europe entière, tandis que Venise, bien qu''en pleine décadence, la convie à ses fêtes. La querelle entre anciens, partisans de Poussin, et modernes, disciples de Rubens se solde par la victoire du baroque. Au XVIIIe, la mode est à la ligne virevoltante, et aux fastes serpentins du Rococo.
Bien que privé d''un figure centrale, d''un artiste majeur porteur de toute une école comme le fut Pierre-Paul Rubens pour tout le XVIIe flamand, la production belge du XVIIIe siècle peut se gargariser de porter en ses rangs un bon nombre de peintres de grand talent, souvent écrasés par l''infinie renommée de leurs glorieux ainés.
Richard van Orley fait partie de ces artistes, à la carrière respectable quoiqu''un peu courte. Né à Bruxelles en 1663, fils de Pierre van Orley lui-même peintre, notre artiste aurait sans doute eu une activité et une production artistique plus importantes s''il n''avait pas repris la charge paternelle de contrôleur de la ville de Bruxelles entre 1688 et 1699. Il suivit une formation familiale dès son plus jeune âge enseignée par son père ainsi que par son oncle, Jérôme van Orley, également peintre. La peinture était un métier et chaque famille avait alors sa propre écriture picturale transmise de génération en génération. Richard hérita de l''art de Pierre et Jérôme, permettant la poursuite de l''activité de l''atelier en assurant la transmission des connaissances et de l''expérience accumulées par les générations précédentes.
Mais Richard van Orley fut plus que le continuateur d''un art familial. Il réussit à devenir un artiste remarqué au sein de la dynastie, plus particulièrement pour ses talents d''illustrateur de textes. L''ensemble de dessins que nous présentons renvoie à cette spécialité chez notre artiste. En effet, cette suite fut destinée par son auteur à illustrer l''œuvre de Fénelon Les Aventures de Télémaque, fils d''Ulysse. Fénelon (1651-1715, fig. 1) rédigea, lorsqu''il était percepteur du duc de Bourgogne, fils du Dauphin et père du futur Louis XV, un certain nombre de romans pédagogiques adaptés à l''esprit des enfants. Il écrivit ce roman entre 1694 et 1696, et celui-ci lui échappant, fut publié à son insu, à partir de 1698. L''opinion reconnut dans ce texte toute l''histoire et la petite histoire contemporaine : une critique à peine voilée de l''exercice autoritaire du pouvoir par Louis XIV. Fénelon n''en était pas à son coup d''essai et son esprit réformateur était alors connu de tous. Dans son roman, il décrit les aventures de Télémaque, courant le monde à la recherche d''Ulysse. Il découvre différents Etats de l''Antiquité qui, par la faute des mauvais conseillers qui entourent les dirigeants, connaissent des problèmes semblables à ceux de la France des années 1690. Dirigé et instruit par Minerve, qui se cache sous l''apparence du sage vieillard Mentor, le héros se forme au contact des hommes, juge et compare les gouvernements, subit douloureusement mais victorieusement les épreuves du cœur et de l''amour. Fort d''un succès rapide, le roman commença à se répandre dans toute l''Europe et Fénelon fut banni de la cour par Louis XIV. Sa défense, maladroite, réfutant tout esprit contestataire imaginé dans son roman n''y changea rien : " Je n''ai jamais songé qu''à amuser le duc de Bourgogne par ces aventures et qu''à l''instruire en l''amusant ". Il se retira alors à Cambrai dont il était l''archevêque du diocèse depuis sa nomination par le roi. Archidiocèse depuis 1559 pour les diocèses de la Belgique francophone, Cambrai fait alors encore partie des territoires des Pays-Bas méridionaux gouverné depuis Bruxelles. Le territoire juridictionnel ecclésiastique de Cambrai couvre le Hainaut belge jusque dans sa partie néerlandophone de Halle et Braine-le-Comte aux portes de Bruxelles à l''endroit même où les van Orley ont leur atelier. Tous les mandements épiscopaux de Fénelon sont d''ailleurs traduits en néerlandais et les éditeurs et imprimeurs bruxellois, dès 1699, publient d''innombrables contrefaçons de l''ouvrage litigieux.
Dans nos œuvres, Richard van Orley suit pas-à-pas les aventures de Télémaque. Ses illustrations constituent l''exacte traduction picturale de ce que l''auteur décrit dans son ouvrage, laissant parfois brillamment place à sa propre inspiration. Ce roman poétique ne pouvait qu''enflammer l''imagination fertile de notre artiste. A la manière d''une bande dessinée moderne, les dessins se succèdent au rythme des péripéties romanesques et sentimentales du roman. Van Orley a agrémenté ses œuvres de multiples artifices scéniques et les détails pittoresques issus de sa propre invention, démontrant son remarquable sens de la mise en scène. Par cette suite, Richard van Orley porte l''art de l''illustration à un haut degré de perfection. Il parvient à rendre avec avant-gardisme et virtuosité ce qui rendit l''art baroque si envoûtant, tout en puisant références et inspirations dans le traitement pictural flamand du XVIIe siècle.
Il faut ajouter à ces œuvres l''unique autoportrait connu de l''artiste, daté de 1721, frontispice de notre album. Ce dessin, dans lequel l''artiste s''est représenté dans toute sa gloire, dans un médaillon central, soutenu par des allégories comme le Dessin, l''Eveil, ou encore le Temps, doit être considéré comme le terminus ad quem de la réalisation de la série. Il traduit dans un langage métaphorique savant, la haute estime que l''artiste portait à son œuvre.